Cette année-là au bord du Rhône

Photo: Vu Hong Nam

Je suis de la génération autorisée à quitter Saigon dans les années 1960 pour aller étudier à l’étranger, en particulier après la chute de Ngô dinh Diêm, quand le mouvement pour la Paix au Viet Nam se développait au Viet Nam et dans le monde. Cette génération fut appelée ‘génération 68’, car cette année là la jeunesse française manifestait bruyamment pour la Liberté (en particulier liberté d’aimer, droits pour les femmes). La guerre du Viet Nam était aussi un point fort, les manifestants criaient « Ho, Ho, Ho Chi Minh », de nombreux meetings réunissaient des grands intellectuels comme Jean Paul Sartre, Simone de Beauvoir, Madeleine Riffaud, Albert Schwarz.

La grande majorité de nos étudiants n’étaient pas engagés dans les associations « politiques », car ils se consacraient à leurs études,  ils craignaient aussi les pressions sur leurs familles encore restées sous contrôle saigonnais et le risque de rupture de transfert d’argent. Je me suis engagé à Paris dans l’Union des Vietnamiens, et en 1972 je descendais à Lyon pour commencer mon Internat des Hôpitaux et militais auprès de l’Union des Vietnamiens de Lyon (à l’époque M. Le Tung était secrétaire général, M. Lam Thanh My responsable des intellectuels -étudiants).

Je me rappelle les longues années de lutte avec les membres de tout âge de l’Union, avec les membres de l’association bouddhiste (à l’époque sous l’égide du Maitre Thich Nhat Hanh), certains membres catholiques et de la troisième force sud vietnamienne.

Après tant d’années de guerre, dont les images atroces étaient montrées quotidiennement à la télévision, en 1973 furent signés les Accords de Paris instaurant un cessez le feu sur place ‘ peau de léopard’  et le retrait des troupes américaines. Ce fut une grande victoire pour nos associations pacifistes, une joie immense pour notre communauté, et nous rêvions tous d’un avenir radieux pour notre Patrie.

Notre génération est née pendant la guerre contre la France, et a grandi pendant la guerre américaine.

Mais après ces accords de 1973 la situation n’était pas stabilisée, la guerre n’était pas terminée, continuant à causer des morts.

Nous étions toujours inquiets et questionnions les délégations de la République Démocratique du Vietnam  et du Gouvernement Révolutionnaire Provisoire du Sud Vietnam que  nous accueillions au siège de la CGT à Lyon (à l’époque nous n’avions pas de local associatif). Les américains pourraient ils revenir, ou reprendre leurs bombardements au Vietnam, ou inciter leurs alliés coréens-australiens – taiwanais… à intervenir militairement, telles étaient nos craintes, et la réponse de nos officiels était toujours «  Non ! Non ! Les Etats Unis ne pourront pas revenir », et même on nous rappelait le discours du Président Ho Chi Minh en 1968 avant l’offensive du Têt 1968 ! En médecine aucun phénomène n’est vrai à 100%, et personnellement je craignais la reprise de la guerre. Tous les jours je suivais les informations à la télévision à 20 heures (je ne pouvais pas la regarder à l’hôpital dans la journée).

L’offensive militaire vietnamienne sur Ban Me Thuot le 10-03-1975 créa un grand choc dans le monde entier, nous les « révolutionnaires » de Lyon furent tous surpris, nous étions très fiers mais aussi très inquiets. Tout le monde suivait la situation au Viet Nam toutes les heures à la radio, je me forçais à veiller tard après 22 heures pour regarder les dernières images aux informations télévisées.

Les nouvelles s’accéléraient tous les jours, et les fronts militaires de Tay Nguyen (Hauts Plateaux du Sud), de Tri-Thien  (sur la côte) … précipitaient la situation, avec les images de retraite désordonnée de l’armée saigonnaise, l’exode dramatique des populations civiles fuyant les zones de combat, images que jamais je n’oublierai.

En Avril 1975 l’offensive militaire sur la capitale Saigon se précisait. J’étais inquiet pour les éventuelles effusions de sang et destructions terribles, probablement bien plus graves que les dégâts subis dans les grandes villes du Sud lors de l’offensive du Têt 1968. La démission forcée du président saigonnais Nguyen van Thieu  décidée par le président américain Ford, remplacée par

Tran van Huong, puis par le Général Duong van Minh me rendait moins pessimiste, un espoir que  les parties adverses ne se battraient pas ‘ jusqu’aux derniers’. Lors de ces derniers jours d’Avril 1975 la télévision française montrait des images de la population se bousculant devant l’ambassade américaine à Saigon pour demander leur évacuation aux USA, ou de ces gens malheureux se jetant dans des embarcations de fortune.

Le dernier président saigonnais Duong van Minh, celui qui n’a pas pu empêcher l’assassinat du président Ngo dinh Diem et son frère Ngo dinh Nhu en 1963, a pu éviter un carnage à Saigon en 1975. Le monde entier a vu les images du 30 Avril 1975 : Le drapeau étoilé de l’ambassade américaine enroulé puis emporté à la main, l’hélicoptère américain avec des nappes de réfugiés tombant en mer, l’entrée des chars portant les couleurs du GRP enfonçant les grilles du palais présidentiel saigonnais…

La Guerre du Viet Nam a pris fin le 30 Avril 1975.

Pendant toute cette période, en particulier après la bataille de Ban Me Thuot, de nombreux vietnamiens de ma génération, venus de Saigon et des grandes villes du Sud, nous étions très inquiets du sort de nos familles restées au Viet Nam. Personnellement ne restaient à Saigon que les familles de mes deux sœurs, mariées avec quatre jeunes enfants (une de mes sœurs était enceinte à cette époque).

Cette année là ma mère, qui résidait en France avec le reste de ma famille, effectuait une visite au Viet Nam, nous étions si heureux de son retour en France avant tous ces évènements. Juste avant la chute de Saigon par téléphone nous avons appris que les familles de mes deux sœurs étaient arrivées saines et sauves, par avion américain à l’ile de Guam, grâce à une cousine qui avait à l’époque la nationalité américaine ! Parties précipitamment, les mains vides, une de mes sœurs enceinte (pendant son séjour dans le camp de réfugiés à Guam, elle n’osait pas boire de l’eau, et ne buvait que du coca-cola !). Nous souhaitions faire une demande officielle pour que ces deux familles puissent nous rejoindre à Paris, en leur assurant les billets d’avion (cette année là le Président Giscard d’Estaing était formidable acceptant d’accueillir ces milliers de réfugiés vietnamiens, je ne l’oublierai jamais). Mais mes sœurs et leurs maris ont préféré recommencer leur nouvelle vie aux Etats Unis (et actuellement eux et leurs cinq enfants ont admirablement bien réussi leur vie chez l’Oncle Sam !).

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Tous les ans la Fête du 1er Mai est un jour de repos national en France. En plus la tradition de cette fête est d’offrir le muguet, cette fine fleur blanche, éclose juste pendant cette période, symbole de l’Amour. Depuis de nombreuses années notre Secrétaire Général Le Tung a lancé l’initiative de vente de muguet le 1er Mai, nos membres de l’Union des Vietnamiens allaient dans divers marchés de Lyon pour vendre le muguet, rapportant un peu d’argent à l’Union, mais surtout pour demander à nos amis français de soutenir le peuple vietnamien contre l’impérialisme américain.

Et l’après midi nous nous joignions au défilé de la CGT, à côté des travailleurs français, avec des banderoles  « Paix au Viet Nam », « Contre l’impérialisme américain ».

Je me souviens encore du 1er Mai 1975. Au marché de Lyon -Monplaisir, ce jour là je rencontrais par hasard Madame X (je ne me souviens pas de son nom), une des porte-paroles les plus connus de l’association des « vietnamiens anti- communistes »  de Lyon (elle était ancienne journaliste à Saigon, et mariée à un médecin vietnamien) ! Spontanément je venais vers elle et lui offrais un bouquet de muguet, en lui disant : « célébrons ensemble la Paix au Viet Nam ». Elle n’a pas jeté mon bouquet.

Quelques jours après à Venissieux, grande ville proche de Lyon, une grande Fête fut organisée par le Maire et le Parti Communiste Français pour célébrer la fin de la Guerre du Viet nam et la Victoire du peuple vietnamien. En raison de mon travail je n’ai pas pu assister, mais mes amis  me racontaient que c’était très émouvant, avec une participation importante d’amis français.

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Né pendant la guerre française, j’ai grandi pendant la guerre américaine. J’ai eu la chance de vivre en direct le retour de la Paix dans mon pays natal.  Toutes ces dernières années j’ai eu la chance de vivre en France, un pays en Paix et heureux, mais tous les jours j’ai vécu avec toutes ces images atroces de la guerre qui  déferlait au Nord comme au Sud de mon pays. Ce jour là, le 30-04-1975, je rêvais déjà de la Réunification prochaine de mon pays. Je suis né à Ha  Noi, ma famille a migré en 1954 à Saigon, je me souviens encore du jour de ma séparation avec ma famille restée au Nord, et tout particulièrement de mes deux grand-mères qui ont bercé mon enfance.

C’est en France que je commençais à m’intéresser et à lire sur l’histoire du Viet Nam. J’étais profondément triste de lire que le Viet Nam était divisé depuis la fin du 16è Siècle , entre les seigneurs du Nord et du Sud Trinh-Nguyen, royaume « unifié » seulement pendant quelques dizaine d’années sous la dernière dynastie Nguyen, avant d’être divisé en trois parties sous domination française , puis en deux sous domination américaine. Arrivé à Lyon, j’ai commencé à écrire dans les journaux de l’Union des Vietnamiens, j’ai choisi le patronyme Vu Hông Nam, Vu mon nom de famille, Hông comme Fleuve rouge où je suis né, et Nam comme le Sud du pays en pleine guerre.

Article et Photos: VU HONG NAM (Lyon)

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