Le pays d’avant

Nicolas Journoud

illustration La pays d'avant

Il est vert

Rizière

Pays de cocagne

De cocotiers

Pays de montagnes

De bananiers

*

Le pays d’avant

Il est bleu

Il est sel

Il est feu

Il est miel

Déli-ciel

*

Le pays d’avant

Il est doux

Il est boue

Pays de rivieres

Pays de fleuves

Pays de lumières

Naguère

En guerre

Pays de veuves

*

Le pays d’avant

Il est fruit

Tendre

Goûté

Il est pluies

Cendres

D’été

Il est bruits

Des cités

Brûlantes

À vendre

*

Le pays d’avant

Il est visages

Sans âge

Villages

Paisibles

Il est facile

À voir

Difficile

À avoir

Invisible

*

Le pays d’avant

Il est moussons

Violentes

Il est frisson

De voix lentes

De terres

Sanguinolentes

De mers

Indolentes

De mères

Implorantes

*

Le pays d’avant

D’avant quoi

D’avant qui

D’avant moi

D’avant ici

Devant vous

Devons-nous

Pleurer

Pays leurré

Souvent

Enterré

Sous le vent

Effleuré

Dans les rêves

Flairé

Serré

Emmuré

Murmuré

Du bout des lèvres

En déshérence

Errance

Désespérée

*

Le pays d’avant

Il n’existe pas

Il est perdu

On n’a jamais su

On l’a jamais vu

On n’a jamais pu

Le prouver

Le retrouver

Le pays d’avant

Il n’existe pas.

Ce poème est extrait du recueil du même nom publié à Rome par Portaparole en 2007 – Illustration de Nicolas Journoud.

Nicolas Journoud

En 1997 j’ai pris l’avion pour découvrir ce « pays d’avant », celui de mes parents, de mes ancêtres. Mes parents, séparément, mon père venu du nord et ma mère du sud avaient pris le billet aller il y a plus d’un demi-siècle et moi, le retour improbable. Des montagnes vertes, des rizières à travers le hublot et cette chaleur humide et chaude, les bruits de la ville et de la vie qui enveloppent ceux qui viennent à peine d’arriver.

Du nord au sud, des montagnes embrumées près de la frontière chinoise jusqu’au delta du Mékong et à la frontière avec le Cambodge, j’ai parcouru ce pays qui était mien ou du moins qui le devenait peu à peu, au fil des kilomètres, en minibus sur les routes encombrées et poussiéreuses ou dans les trains bondés.

Au centre, le Fleuve des Parfums coule paresseusement le long des palais et des tombeaux des empereurs défunts et semble diviser ce pays jadis déchiré dont je ne voyais que des images de guerre à la télévision, au milieu des cris et des hurlements des bombes, quand j’étais enfant, à l’abri et loin de tous les ravages.

À chaque retour (mais d’où suis-je vraiment partie ?), j’ai réappris la langue aux accents et aux vocables divers, j’ai redécouvert les bruits, les odeurs, j’ai récupéré les souvenirs familiaux égrenés au coin des rues dans les villes métamorphosées, entre deux chansons.

J’ai écrit très vite, sur place ou à Paris les impressions, noté les images avec des rythmes et des sons dans la tête, comme un carnet de voyage poétique, dans la discontinuité des lieux, des moments et des humeurs. J’ai capté l’instant, les sensations, les sentiments dans les bulles des mots, autour de quelques noms-paysages, faits de lacs, de rizières, de montagnes, de vagues tièdes et de routes entrecroisées : Hanoi, Saigon, Huê, Sadec, Dalat.

Dix ans plus tard paraissait ce premier recueil que mon frère Dân a lu jusqu’à page 61 avant de s’éteindre dans un hôpital du 13e arrondissement de Paris où il était né en 1955.

Voici en vrac la mémoire éparpillée de mes voyages…

Le lien entre le pays d’avant et d’aujourd’hui est autant climatique qu’affectif. La neige, c’est la froideur de l’oubli, la glace de l’indifférence, l’image de l’autre de côté du miroir quand on ne peut plus passer de l’autre côté du temps, sur l’autre rive qui s’éloigne. Et pourtant, un jour, le miracle a eu lieu, quelque part, sur cette planète bleue… Il a neigé à Hanoi en janvier 2003.

Au Vietnam, les saisons sont marquées par les pluies : hivers secs, étés humides, exactement le contraire de l’Occident. Pour le voyageur égaré, il n’y a pas plus de saisons (sauf peut-être au nord du pays), sans rime ni raison. Quand il pleut, en fin d’après-midi, fleurissent les capes de pluie multicolores et rien ne sert de courir ou de pédaler sous les gouttes : il faut s’abriter à temps, car les trottoirs et les chausses défoncées se transforment en rivières.

La baie d’Halong : on raconte qu’un dragon mort a laissé au milieu de la mer ses ossements qui sont de venues de belles montagnes verdoyantes…

Hanoi est resté un dédale de rues commerçantes et joyeuses bordées d’arbres, avec ses petites maisons serrées à quelques étages et ses métiers ancestraux dans chaque quartier.

Un temple au milieu de la ville est consacré aux savants, aux érudits et aux poètes qu’on revere comme des rois ou des dieux vivants.

Hanoi, c’est aussi une ville de lacs, le petit et le grand, celui de “l’épée restituée” avec sa tortue mythique et celui de l’Ouest, rendez-vous des amoureux. On fait ses courses au marché, rempli de couleurs, d’odeurs et de bruits : légumes, fruits, viandes, poissons étalés ou en pyramides occupent toute la place.

La fête la plus importante, à la fois religieuse et familiale, c’est le Têt, qui varie selon les années et le calendrier lunaire, en janvier ou en février. On met ses plus beaux habits, on festoie (un gâteau de riz rempli de viande et cense représenter la terre qui est bien sûr rectangulaire) et les enfants reçoivent un billet neuf dans une enveloppe rouge, couleur du bonheur. L’arbre rempli de clémentines, c’est le sapin de Noël de ce début de printemps. On le transporte à vélo du marché jusqu’à la maison.

Ici, on aime les aînés et on respecte les anciens. Tendresse pour les rides et les cheveux blancs. Le culte des ancêtres est visible : un autel dans la boutique ou dans une pièce consacrée ou sur la terrasse, avec une veilleuse, de l’encens et des offrandes de fruits près des photographies des anciens. Je n’ai pas connu mon grand-père paternel. Il ne reste aucune photo de lui, alors on a fait faire une tablette funéraire rouge et or avec les caractères de son nom. Mon grand-père est originaire du centre, son berceau est celui de la famille du dernier empereur. Huê : une ancienne capitale, un fleuve, des tombeaux et des palais immémoriaux. Il a vécu au nord après avoir épousé ma grand-mère maternelle puis la tuberculose l’a emporté.

Ton That Thanh Van

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