Revue de presse Agent Orange / Mars 2021

Sélectionnée par Francis Gendreau

06/03/2021
https ://www.lecourrier.vn

Résultats de la coopération américano-vietnamienne dans le traitement de la dioxine

Après plus d’un an de mise en œuvre, le projet de traitement de la dioxine à l’aéroport de Biên Hoà (province méridionale de Dông Nai), doté d’un budget total de plus de 390 millions d’USD, a obtenu de grands résultats.

Concrètement, au cours de l’année écoulée, le projet a permis le soulèvement de près de 1.200 m3 de sédiments contaminés à la dioxine dépassant les normes autorisées et la restauration de toute la surface du lac de la Porte 2 de plus de 5.300 m2, qui répond désormais aux normes vietnamiennes en matière de seuil de dioxine, garantissant la sécurité pour l’homme et l’environnement.

Le général de corps d’armée Nguyên Chi Vinh, vice-ministre de la Défense, a déclaré qu’au cours de la dernière année, grâce aux efforts des agences fonctionnelles du Vietnam et de l’Agence américaine pour le développement international (USAID), le traitement de la dioxine à l’aéroport de Biên Hoà a obtenu des résultats très positifs, permettant au Vietnam et aux États-Unis de s’associer pour nettoyer plus de 500.000 m3 de sols et de sédiments contaminés par la dioxine à l’aéroport.

L’USAID se concentrera cette année sur le traitement de la dioxine dans d’autres zones de l’aéroport de Biên Hoà, en particulier dans la zone de la Porte 2 et la zone ouest de l’aéroport. Selon Daniel J. Kritenbrink, ambassadeur des États-Unis au Vietnam, le projet de traitement de la dioxine de l’aéroport de Biên Hoà s’inscrit dans la continuité du succès du projet de coopération américano-vietnamien dans le traitement de la dioxine à l’aéroport de Dà Nang, marquant une étape importante afin de concrétiser le contenu de la déclaration conjointe des hauts dirigeants du Vietnam et des États-Unis.

Selon le ministère de la Défense, afin de surmonter des conséquences des produits chimiques toxiques laissés par la guerre, outre le traitement de la dioxine à l’aéroport de Biên Hoà mis en œuvre depuis 2019, l’USAID et le Centre national d’action pour le traitement des conséquences des substances chimiques toxiques et l’environnement ont examiné et investit dans un projet de soutien aux personnes handicapées dans huit provinces prioritaires que sont Quang Binh, Binh Dinh, Thua Thiên-Huê, Tây Ninh, Dông Nai, Quang Tri, Kon Tum et Binh Phuoc.

Le projet dispose de 65 millions d’USD d’aide non remboursable du gouvernement américain et de 75 milliards de dôngs (3,22 millions d’USD) de fonds de contrepartie vietnamien. VNA/CVN

15/03/2021
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Les États-Unis choisissent un maître d’œuvre vietnamien pour la décontamination de dioxine

Les États-Unis a attribué pour la première fois le contrat du maître d’œuvre à une entreprise vietnamienne pour la construction dans le cadre du projet de décontamination de dioxine de l’aéroport de Biên Hoà, financé par l’Agence américaine pour le développement international (USAID).

Les entreprises vietnamiennes ont déjà participé à des activités de décontamination de dioxine de l’USAID à l’aéroport international de Dà Nang (Centre) et à l’aéroport de Biên Hoà dans la province de Dông Nai, mais en tant que sous-traitants des entreprises américaines.

Dans le cadre de ce contrat, l’entrepreneur vietnamien réalisera également la construction d’installations de stockage à long terme pour les sols excavés, ainsi que la construction de routes d’accès et de barrières. Selon l’USAID, cette décision aidera « à améliorer des capacités des entrepreneurs de construction vietnamiens pour mettre en œuvre des techniques modernes de remédiation environnementale, en promouvant le chemin du pays vers l’autosuffisance dans ce

domaine ». Auparavant, l’ambassadeur des États-Unis au Vietnam, Daniel J. Kritenbrink, et les agences compétentes avaient organisé une cérémonie pour annoncer les premiers résultats du projet de décontamination de dioxine de l’aéroport de Bien Hoa.

Plus précisément, en 2020, 1.134 m3 de boue et de sol contaminés par la dioxine ont été retirés.

L’ambassadeur a souligné que le résultat ci-dessus «était la première étape réalisée grâce à

l’engagement du gouvernement américain à contribuer à hauteur de 300 millions de dollars à la

décontamination de dioxine à l’aéroport de Bien Hoa et ses environs durant 10 ans.»

Également lors de l’événement, l’USAID et l’armée de l’air et de la défense anti-aérienne du Vietnam ont signé un accord de remise supplémentaire de l’espace au service des activités de traitement de la pollution dans l’aéroport dans deux ans. La partie américaine a également ajouté que le gouvernement américain, à travers l’USAID, et ses partenaires du gouvernement du Vietnam ont également lancé un nouveau projet de coopération pour soutenir les personnes handicapées vietnamiennes dans huit provinces prioritaires pendant cinq ans, d’une valeur de 65 millions de dollars. Selon l’Association des victimes vietnamiennes de l’agent orange/dioxine, plus de 4,8 millions de Vietnamiens ont été exposés à la dioxine. VNA/CVN

15 mars 2021
https ://jne-asso.org

Une guerre faite à la nature et aux êtres humains : les dégâts de l’agent orange au Vietnam

L’agent orange désigne un produit chimique défoliant largué sur le Vietnam par les avions de l’armée américaine dans sa guerre contre le peuple vietnamien qui luttait pour la réunification de son pays. L’agent orange empoisonne les terres pour des dizaines d’années et contamine les eaux jusqu’aux nappes phréatiques. C’était dans les années 1960. Pourquoi continuer à en parler encore aujourd’hui ?

Par M’hamed Rebah

Une ancienne combattante vietnamienne, Tran To Nga, répond par un livre qu’elle a écrit en 2016, après avoir appris que la maladie génétique dont elle souffrait, l’alpha-thalassémie, ainsi que la forme extrême d’acné qu’elle avait, la chloracné, étaient dues, explique-t-elle, à ce « surnom étrange : l’agent orange, le désherbant répandu autrefois par les Américains sur les forêts de mon Vietnam natal. Sa trace est là dans mes veines. Plus de quarante ans après la fin de la plus grande guerre chimique de l’histoire de l’humanité… ».

Cela s’est passé un jour d’automne 1966, raconte Tran To Nga, alors qu’elle se trouvait dans la forêt dans une base du Front national de libération du Sud-Vietnam (FNL). « Le C-123 vole à basse altitude. De ses entrailles s’échappe une sorte de nuage blanc qui fait tache dans le bleu du ciel. Je le contemple comme on regarde un vol d’oiseaux migrateurs, sans bouger. Et tout à coup, une pluie gluante dégouline sur mes épaules, se plaque sur ma peau. Une quinte de toux me prend. » Sa maman lui explique que c’est du défoliant, de l’agent orange, mais Nga ne comprend pas encore. Elle oublie aussitôt. Elle pense que c’est un « banal herbicide ». Bien plus tard, elle saura qu’en réalité « l’agent orange contient le pire poison de synthèse qui se dissout dans les graisses : la 2,3,7,8-tétrachlorodibenzo-para-dioxine, ou TCDD ». Il est la cause du décès de son premier bébé.

Ce puissant herbicide, surnommé agent orange, a été fourni à l’armée américaine par les compagnies Monsanto et Dow Chemical. L’auteure explique que ce défoliant ne doit pas son nom à sa teinte, mais à celle des fûts de stockage. Dès 1961, les Américains ont procédé à son épandage massif dans le but d’isoler les foyers de la résistance vietnamienne cachés dans la végétation. « Le président Kennedy, oui JFK en personne– c’est Tran To Nga qui insiste-, a ensuite donné son feu vert au programme Ranch Hand (Ouvrier agricole) visant en particulier le delta du Mékong ».

La « sale guerre » contre le peuple vietnamien avait commencé à partir de 1961, avec l’envoi par le président John F. Kennedy de plus de 15 000 conseillers militaires au Sud-Vietnam .En 1962, dans une lettre ouverte à leur président John F. Kennedy, 150 intellectuels américains, « qui croient que la seule sécurité pour l’Amérique repose sur la paix mondiale », lui demandaient pourquoi les Etats-Unis envoient actuellement leur Armée de terre, de mer et de l’air, semer la mort et faire couler le sang au Sud-Vietnam, un petit pays d’Asie qui se trouve à 10 000 miles de notre côte du Pacifique ? ».

Les Américains sont passés de la fonction de « conseillers militaires » à « soldats de première ligne », au nombre de 500 000 en 1968, participant directement aux combats contre les patriotes vietnamiens. Leurs B-52 ont ensuite bombardé le Nord-Vietnam. L’intervention militaire des Etats-Unis était destinée à aider le gouvernement de Ngo Dinh Diem installé à Saigon en application des décisions de la Conférence de Genève tenue après la bataille de Dien Bien Phu en mai 1954, qui a signé, comme le souligne l’auteure, l’épilogue de la guerre d’Indochine et le début de la fin de l’Empire français d’Extrême Orient.

Tran To Nga rappelle que la Conférence de Genève (juillet 1954) a abouti à « la division du pays en deux Etats indépendants de part et d’autre du 17ème parallèle : au nord la République démocratique du Vietnam, communiste, et, au sud, l’Etat du Vietnam, installé par la France, qui sera remplacé en 1955 par la République du Vietnam, alliée des Etats-Unis ». L’auteure précise qu’un référendum était prévu en juillet 1956, pour consulter le peuple sur une éventuelle réunification. « Or, poursuit-elle, cette consultation du peuple n’aura jamais lieu, elle restera une promesse mensongère des nouveaux maîtres de Saigon soutenus à bout de bras par l’Amérique. C’est à cause de ce mensonge qu’éclatera la guerre du Vietnam. »

A partir de 1960, l’opposition armée au régime de Ngo Dinh Diem se met en place. Le Front national de libération du Sud-Vietnam (FNL) est créé le 20 décembre 1960. « Les Occidentaux, eux, n’ont alors qu’un mot à la bouche, à connotation péjorative pour désigner le FNL : Vietcong, terme équivalent à Vietnamien communiste ». Comme l’expliquera en mars 1962, le Président Ho Chi Minh dans une interview au journal londonien Daily Express, le terme Vietcong a été « inventé par les Américains et l’administration Ngo Dinh Diem, pour désigner tous les patriotes au Sud-Vietnam en vue d’intensifier la répression sur eux ».

Le monde soutient la lutte du peuple vietnamien et « s’indigne de l’impérialisme américain », constate Nga à travers la lecture des journaux et magazines qu’elle est chargée par le FNL de consulter. Elle apprend ainsi, entre autres, que « le boxeur Mohamed Ali en personne a refusé de servir dans l’armée de son pays ». La solidarité internationale accompagnera les Vietnamiens dans la lutte pour la réunification de leur pays, jusqu’à la victoire finale. Le 30 avril 1975, les « conseillers » américains fuient Saigon, mais laissent derrière eux les séquelles de leur « sale guerre », surtout les dégâts causés par la dioxine, rapportés avec précision par Tran To Nga dans un chapitre consacré à l’agent orange.

Les avions américains ont répandu des milliers de tonnes de défoliants sur les champs et les forêts du Vietnam, empoisonnant les terres pour des dizaines d’années et contaminant les eaux jusqu’aux nappes phréatiques. C’est après la libération d’avril 1975, devant la multiplication des monstruosités, se souvient Nga, qu’il y a une pleine prise de conscience des dégâts à long terme provoqués par la dioxine : « des bébés viennent au monde infirmes, sans jambes ou sans bras, d’autres souffrent de forme extrême de nanisme ».

Installée en France, en région parisienne, depuis le milieu des années 1990, Tran To Nga mène ce qu’elle appelle son dernier combat, décrit dans un article de l’écrivaine Jane Hervé (sur son blog le Gué de l’Ange et sur le site des JNE). Un combat centré sur « la plainte en 2014 contre une vingtaine de compagnies américaines (dont Bayer-Monsanto et Dow Chemical) ». Le procès s’est ouvert le 25 janvier 2021 à Evry (Essonne), dans l’espoir qu’il « fera jurisprudence et contribuera à la création d’un crime international d’écocide ».

A lire : Ma terre empoisonnée. Vietnam, France, mes combats. Tran To Nga. Editions Stock, 2016.

17 mars 2021
https ://acta.zone

L’écocide a une double origine : coloniale et impérialiste » – entretien avec le collectif Vietnam-Dioxine

Le déversement de produits toxiques sur les terres et les êtres est une constante de la guerre impérialiste et coloniale. La militante franco-vietnamienne Tran To Nga a subi dans sa chair, et celle de ses enfants, les conséquences de celui de l’agent orange-dioxine pendant la guerre du Vietnam. Cette année s’est enfin ouvert le procès qu’elle a intenté contre plusieurs multinationales agrochimiques au cœur de ce business mortifère qui croise profits privés sur la guerre et destruction des peuples et de l’environnement. Nous revenons avec le collectif Vietnam-Dioxine, l’un de ses principaux soutiens dans cette lutte, sur les enjeux de ce procès et au delà : soutien à la résistance du Sud global face aux attaques coloniales, passées et présentes, question des réparations et front anti-impérialiste et écologique.

ACTA : Pour commencer, pouvez-vous présenter votre collectif ainsi que la lutte et le parcours de la militante franco-vietnamienne Tran To Nga, à qui vous apportez votre soutien ?

Collectif  Vietnam-Dioxine :  Le  Collectif  Vietnam-Dioxine  regroupe  des  bénévoles  et  des associations. Nous luttons pour la reconnaissance officielle et les réparations suite aux effets de l’usage de l’agent orange durant la guerre du Vietnam. Plus particulièrement, nous soutenons Tran To Nga dans son procès historique contre les firmes qui ont fabriqué ou commercialisé l’agent orange. Tran To Nga est une victime vietnamienne de l’agent orange. Elle est une ancienne résistante et journaliste du Front National de Libération, pendant la guerre étasunienne au Vietnam. Elle a intenté en 2014 un procès contre les fabricants de l’agent orange (comme Monsanto, Dow Chemical, Uniroyal ou Hercules Inc). Le 25 janvier dernier ont eu lieu les plaidoiries à Evry après 6 ans de procédures.

Pouvez-vous revenir sur l’utilisation de l’agent orange durant la guerre du Vietnam, afin de présenter les enjeux de son utilisation et les conséquences immédiates et durables, humaines et sanitaires notamment, qu’elle a générées ?

L’Agent Orange est un défoliant utilisé pendant la guerre au Vietnam par l’armée étasunienne entre 1961 et 1971. Il contient de la dioxine, un déchet de fabrication, qui est extrêmement toxique. Aujourd’hui encore, les effets de l’Agent Orange-dioxine se répercutent sur la population vietnamienne et l’environnement dans l’iniquité la plus totale. L’Agent Orange-dioxine s’est avéré très toxique pour l’être humain. Son dérivé de fabrication, la dioxine, est tératogène et lipophile : la dioxine s’accumule dans les graisses et engendre de graves malformations chez les nouveaux-nés. Jusqu’à 4,8 millions de personnes ont été directement exposées au défoliant et plus de 3 millions en subissent encore les conséquences selon l’Association vietnamienne des victimes de l’Agent Orange-dioxine (Vava). Des centaines de milliers d’enfants, des 3e et 4e générations d’après-guerre, vivent avec ces malformations (absence de membre, cécité, surdité, tumeur externe), sans parler des fausses couches, des mort-nés et des naissances prématurées qui s’accentuent dans les régions les plus touchées.

Le terme d’ « écocide » est utilisé pour décrire la destruction d’une partie importante des terres vietnamiennes à cause du déversement de produits agrochimiques comme l’agent orange. Pouvez-vous revenir sur l’importance de cette dimension environnementale et les conséquences de cette destruction ?

Le terme d’écocide est utilisé pour la première fois en 1970 par le biologiste Arthur W. Galston. Il emploie cette notion pour décrire l’utilisation de l’agent orange par l’armée étasunienne. La parole du biologiste est d’autant plus forte qu’il a été lui-même directement impliqué dans la production de substances présentes dans l’agent orange-dioxine. Initialement, il pensait contribuer à lutter contre la famine avec cette technologie développée pour l’agriculture.

Avec près de 80 millions de litres d’herbicides déversés et plus de 2 500 000 hectares contaminés, ces épandages ont détruit 20 % des forêts du sud du Vietnam et pollué 400 000 hectares de terres agricoles. S’y ajoutent la destruction de plus d’un million d’hectares de forêt tropicale et la disparition d’une faune abondante. L’armée des États-Unis voulait détruire l’environnement des résistant-e-s vietnamien-ne-s pour pouvoir les débusquer et s’en prendre à leurs vivres. Il s’avère que cet écocide avait un caractère presque mortifère compte tenu du nombre de victimes. C’est un véritable crime contre l’humanité.

Aujourd’hui encore, les sols sont contaminés, et on ne sait pas pour combien de temps ! Les opérations de décontamination coûtent extrêmement cher. À ce jour, il semble qu’il y ait juste l’aéroport de Da Nang qui soit en cours de décontamination, dans le cadre d’une « opération humanitaire » menée par les États-Unis (comble de l’ironie).

L’écocide, en tant que destruction de l’environnement et des peuples, apparaît comme une constante de la violence impérialiste, coloniale et néo-coloniale. En ce moment même, des milliers de Martiniquais et de Guadeloupéens se soulèvent et dénoncent l’épandage massif de chlordécone dans les bananeraies par les békés, soutenus par l’État français, contaminant la quasi-totalité des îles. Selon vous, cette récurrence de l’usage de pesticides et autres chimies par les puissances coloniales et impérialistes, est-elle un enjeu central pour créer des liens entre différentes luttes dans le Sud Global et dessiner des perspectives d’organisation collective ?

L’écocide a effectivement une double origine : coloniale et impérialiste. Les écocides sont le résultat d’une manière d’habiter la terre (comme dirait Malcom Ferdinand) qui est coloniale. Même si dans certains cas la colonisation de l’Europe était terminée (au sens historique, car il existe encore aujourd’hui de nombreux cas de colonialité ou même de colonisation), la manière dont les Occidentaux considéraient les terres anciennement colonisées et ses habitant-e-s n’a pas changé d’un iota. Les agents chimiques comme les pesticides en sont un exemple très parlant. On n’imagine pas que l’agent orange ou le chlordécone (pesticides les plus toxiques) soient utilisés dans l’Hexagone ou sur les terres des puissances occidentales. Par contre, les pesticides sont aujourd’hui bien utilisés dans les pays occidentaux ; on voit qu’à plus faible dose, ils sont toujours toxiques… C’est important de créer des ponts entre les différentes luttes de justice environnementale. Même si les cas sont différents et spécifiques, il existe des points communs, surtout dans le déni des personnes qui ont autorisé ces empoisonnements. On se soutient mutuellement. Par exemple, on a de très bonnes relations avec certains collectifs militants comme le Collectif Zéro Chlordécone Zéro Poison, l’association VIVRE ou le Collectif des Ouvrier.e.s Agricoles Empoisonné.e.s par les Pesticides. Il faut leur donner de la force quand on voit toute cette injustice et le déni de l’Etat français.

L’utilisation massive de l’agent orange durant la guerre du Vietnam met en lumière le rôle central joué par les multinationales agrochimiques (Monsanto, Dow Chemical, Hercules, Bayer etc.) dans les dynamiques coloniales et néo-coloniales. Que pensez-vous du lien entre ces énormes entreprises privées qui tirent de la guerre des profits faramineux et les grandes puissances qui les utilisent à des fins de domination impérialiste ou coloniale ? Dans le même contexte, que pensez-vous de l’argument principal que l’on trouve dans les plaidoiries des multinationales agrochimiques concernées, le 25 janvier dernier, clamant que le déversement des produits agrochimiques répondait aux ordres du gouvernement américain, et ciblant l’illégitimité d’un tribunal (en l’occurrence français) à statuer sur la défense militaire d’un gouvernement étranger ?

Ces entreprises auraient pu fabriquer un défoliant qui ne contenait pas de dioxine hautement toxique. Elles ne l’ont pas fait car elles ont voulu produire vite et à bas coût, pour maximiser les profits. Aujourd’hui, ces entreprises sont l’exemple parfait d’un capitalisme qui privilégie les profits à l’intérêt général, au détriment de la santé et des écosystèmes des habitant-e-s. La guerre est une manne de profits gigantesque pour ce genre de firmes (n’oublions pas que Bayer a produit… le zyklon B utilisé par les nazis dans un but génocidaire contre les personnes juives) !

Il existe de nombreuses preuves de leur connaissance de la toxicité de la dioxine (voir le livre Agent orange, apocalypse Viêt Nam, d’André Bouny qui en contient). Leurs arguments sont les mêmes que ceux utilisés pour le procès aux États-Unis dans les années 2000, qui a abouti à un rejet de la Cour Suprême des États-Unis en 2009. Dans le dernier ouvrage cité, André Bouny précise que le Ministère de la Justice des États-Unis est lui-même intervenu. Ils n’avaient aucun intérêt à ouvrir cette boîte de Pandore qui aurait pu créer un cas de jurisprudence. Aussi, l’arrangement à l’amiable de 1984 avec les vétérans de l’armée étasunienne a permis d’éviter que ces derniers témoignent en faveur des victimes vietnamiennes. Les preuves sont accablantes pour ces 14 entreprises. On fait désormais confiance à la justice française pour obtenir un jugement favorable.

Comment analysez-vous l’impunité totale dont a disposé le gouvernement américain dans ce contexte ?

Les États-Unis étaient les perdants de cette guerre au Vietnam, et les États-Unis détestent perdre. Indemniser les victimes vietnamiennes ou reconnaître le drame de l’agent orange, ça reviendrait à avouer qu’ils avaient perdu. Ils n’ont jamais voulu le faire. De plus, les États-Unis profitent de l’immunité dont ils bénéficient pour tout acte commis en temps de guerre pour ne pas rendre justice aux victimes, qui sont nombreuses.

Selon vous, quel est l’intérêt d’une stratégie juridique ? Comment une telle stratégie peut-elle rendre justice aux victimes de l’agent orange ? Voyez vous des limites à la lutte exclusivement juridique ?

L’enjeu, c’est la condamnation des entreprises ayant fabriqué ou commercialisé l’agent orange : ça n’est jamais arrivé auparavant pour une victime vietnamienne ! Une victoire signifierait que demain, une victime vietnamienne pourrait s’appuyer sur ce procès car ce dernier pourrait créer un cas de jurisprudence. Tran To Nga le dit et le répète, elle ne fait pas ça que pour elle. À 78 ans, quand on est malade : est-ce qu’on a envie de se battre contre 14 multinationales comme Monsanto ou Dow Chemical juste pour soi ? Non, elle le fait pour des millions de victimes de l’agent orange. Ce n’est pas de la condamnation juste pour de la condamnation. Il s’agit d’une première étape nécessaire (mais non suffisante certes) pour que les victimes puissent obtenir des réparations. Ce sont les réparations qui comptent et tant qu’elles ne seront pas obtenues, le combat continuera. Ce procès a aussi permis de reparler de ce drame : il faut que tout le monde connaisse cette catastrophe pour que ce genre d’atrocités ne se reproduise pas.

Plus généralement, pensez-vous que la reconnaissance juridique et médiatique des crimes de guerre puisse participer à une stratégie contemporaine de lutte anti-impérialiste ? Cette reconnaissance vous semble-t-elle être l’enjeu principal des « réparations » (de crimes de guerre menés par les puissances occidentales ou, plus généralement, de la colonisation) ?

Il existe une multitude de stratégies pour lutter contre l’impérialisme ou pour la justice environnementale. La reconnaissance juridique en est une, et la médiatisation en est une autre. Elles sont complémentaires. Ce qui compte finalement, c’est d’établir un rapport de force pour que les entités dominantes (que ce soit des entreprises, des pays ou des personnes) admettent leurs crimes. C’est un combat très long, mais sans justice et réparations, il ne peut y avoir de paix (comme on l’entend souvent dans les violences policières ; on pourrait aussi appliquer ce slogan de manifestation dans ces drames humains et environnementaux).

Que peut-on espérer du verdict qui tombera en mai et comment soutenir Tran To Nga dans sa lutte ?

La décision du tribunal sera rendue le 10 mai. On espère une décision favorable mais on ne se fait pas d’illusions : le combat sera long (il peut durer quelques années encore et chaque partie fera appel de la décision) et on aura besoin du soutien de l’opinion publique pour faire entendre notre voix et porter celle de Tran To Nga. Une marche sera organisée le samedi 15 mai 2021 partout en France pour manifester contre Monsanto et l’agrochimie. Cette année, celle du procès, sera particulière et on se mobilisera pour soutenir Tran To Nga quelle que soit la décision. Pour soutenir Tran To Nga, il faut en parler autour de soi pour que ce drame de l’agent orange ne soit jamais oublié. On vous attend nombreux-se-s aux mobilisations des prochains mois (Marche contre Monsanto et l’agrochimie, 60 ans de l’Agent Orange le 10 août 2021 prochain…).

31 mars 2021

https ://www.unioncommunistelibertaire.org

Agent orange : Tran To Nga, une femme contre 14 multinationales

Un procès historique a eu lieu le 25 janvier, opposant la militante Tran To Nga à 14 multinationales ayant produit le tristement célèbre « agent orange », épandu par les États-Unis pendant la guerre du Vietnam, avec des conséquences sanitaires dramatiques pour la population. Le jugement est attendu pour mai : une victoire serait une avancée historique.

Le 25 janvier dernier s’est ouvert à Évry le procès dit de l’agent orange, cet herbicide déversé par les États-Unis pendant la guerre du Vietnam (et plus particulièrement entre 1964 et 1975), contaminant ce territoire mais aussi le Laos le Cambodge. Plus de 80 millions de litres ont ainsi été lâchés sur les forêts où se cachait la guérilla du Front national de libération et où vivaient également de nombreux civils. Ce produit toxique est à l’origine de nombreuses maladies (cancers, pathologies mentales) et malformations, documentées depuis longtemps, qui ont touché non seulement les personnes directement exposées pendant la guerre, mais aussi leurs enfants nés parfois des années après la fin de la guerre. Entre 2,1 et 4,8 millions de Vietnamiennes et Vietnamiens en ont été victimes et deux millions d’hectares de terres ont été contaminés selon le rapport Stellman publié en 2003.

Tran To Nga, ancienne combattante elle-même contaminée par l’agent orange, a décidé de se lancer dans une procédure au civil en poursuivant 14 firmes transnationales agrochimiques parmi lesquelles Monsanto et Dow Chemical, qui ont produit de l’agent orange pour l’armée des États-Unis. Ce procès est rendu possible par un changement de loi qui a eu lieu en 2013  : il est possible depuis cette date, pour une personne de nationalité française, de lancer une procédure pour des faits ayant eu lieu en dehors du territoire français et commis par un tiers (personne morale ou physique) ayant une autre nationalité. Tran To Nga a ainsi porté plainte dès 2014 mais depuis cette date le procès n’a cessé d’être reporté. L’audience qui a enfin eu lieu le 25 janvier faisait ainsi suite à six années de procédures écrites.

Un procès repoussé depuis 2014

Jusqu’à présent, ces sociétés n’ont jamais été condamnées, c’est dire l’importance de ce procès. Des associations de victimes vietnamiennes ont porté plainte aux États-Unis mais la justice étatsunienne a toujours donné gain de cause aux firmes capitalistes. Pour ces dernières, seul le gouvernement étatsunien peut être tenu pour responsable, car les entreprises étaient tenues de participer à l’effort de guerre sous peine de sanction. Elles contestent également le lien entre l’agent orange et les maladies dont souffrent de nombreux Vietnamiens et Vietnamiennes. De plus, elles contestent la compétence des tribunaux français pour juger ces faits. Tran To Nga et ses avocats estiment en revanche que les 14 multinationales ont une forte responsabilité, notamment en n’ayant pas informé les autorités étatsuniennes de la véritable toxicité de l’agent orange. Une victoire de Tran To Nga ouvrirait la voie d’une indemnisation pour d’autres victimes, et représenterait une avancée historique. Le jugement est mis en délibéré pour le 10 mai.

Laurent Esquerre (UCL Aveyron)

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