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Ma chère campagne !

A ma campagne, avec nostalgie

Dang Nhât Minh a réalisé l’adaptation cinématographique de la nouvelle Thương nhớ đồng quê (Nostalgie de la campagne) de Nguyên Huy Thiêp avec le soutien de la Télévision japonaise NHK à l’occasion du 100e anniversaire du cinéma (1895-1995). Le film du même titre a été présenté à une soixantaine de Festivals et a obtenu de nombreux Prix internationaux. C’est un des films les plus accomplis de Dang Nhât Minh.

Ce film couvre tous les registres : culturel avec les mœurs et traditions villageoises ; social avec la condition des femmes et celle de la vie à la campagne dans les années 90 ; psychanalytique avec l’absence de l’homme-mari-père ; spirituel avec des pratiques religieuses et rituelles…

Nhâm, un garçon de 17 ans, vit avec sa mère, sa belle-sœur Ngu et sa petite-sœur Minh dans un village au Nord Vietnam où la vie des paysans est difficile. Depuis le décès de son père et le départ de son frère, Nhâm est l’unique pilier de sa famille : bien que doué en littérature, il a arrêté ses études pour aider sa mère et sa belle-sœur dans le travail des champs et permettre à sa petite-sœur d’aller à l’école. Dans ce village paisible et arriéré arrive Quyên, une Viêt Kiêu rentrée des Etats-Unis, la nièce de la voisine Luu. La présence perturbante de Quyên fait réaliser à Nhâm qu’il est devenu un homme et également amène Ngu à exprimer ses sentiments refoulés envers son beau-frère Nhâm qui lui est le seul appui durant ses jours solitaires.

Sur la suggestion de l’écrivain Nguyên Huy Thiêp, l’adaptateur-cinéaste Dang Nhât Minh a introduit quelques détails de sa nouvelle Les leçons de la campagne. Pour ceux qui ont lu le livre avant de voir le film, l’adaptation peut être perçue comme la métamorphose d’une chrysalide qui devient un papillon, pour reprendre l’expression de Jean-Claude Carrière. Cependant, étant conscient de la « transécriture » (l’opération allant du texte à l’image), le lecteur-spectateur en passant de l’un à l’autre se laisse emporter et il réalise que ce n’est ni tout à fait la même œuvre ni tout à fait une autre.

Il n’est donc pas choquant que Dang Nhât Minh ait inventé les relations à trois Quyên-Nhâm-Ngu pour créer l’élément dramatique.

Si Nhâm dans la nouvelle est indifférent, un peu timbré, s’il se fiche de savoir s’il pleut ou non, s’il pense « à la pauvreté des mots, à l’impuissance des moyens d’expression tandis que la lassitude s’abat sur le monde, un monde absurde et cynique, un monde où la vie ne pèse pas plus que le souffle léger du vent » et s’il poursuit « ces idées une à une, essayant à la hâte de les mettre en cage […] lance [s]on cri à travers les espaces du cœur […] hurle comme un loup affamé » (trad. de Kim Lefèvre), Nhâm dans le film, après tant de souffrance, de difficultés, nourrit quand-même les rêves secrets de ses 17 ans, l’âge le plus beau de la vie.

L’enchaînement narratif dans le film est différent de celui de la nouvelle. Dang Nhât Minh a ajouté, supprimé ou modifié de nombreuses scènes. Par exemple, dans le film, il n’y a pas la scène où Quyên se promène en barque du bonze Thiêu au milieu de l’étang aux lotus (cela aurait fait les belles images !). En revanche, le cinéaste y a introduit des détails de valeur, surtout pour les spectateurs étrangers comme : le chargement du four à briques, le rite avant l’allumage, les enfants courant à la queue leu leu pour sauter dans la rivière, le spectacle des marionnettes, les rites funéraires…

Comme pour le texte littéraire, le film comporte la rencontre et la séparation à la gare, entre Quyên et Nhâm. Mais dans le film, la séparation est rendue encore plus dramatique car Nhâm, qui part à l’armée, doit également quitter Ngu. Ce changement accentue l’idée de l’absence des hommes à la campagne, renforçant la tonalité nostalgique. De plus, dans un monologue final inventé par le cinéaste, Nhâm se promet de retourner. Cela fait une bonne conclusion, une fin plausible.

Le film va jusqu’à l’extrême de la mélancolie, commençant par le regard vers le lointain de Ngu au début du film, passant par l’attente indéfinie des femmes, par les funérailles de Minh et de Mi et se terminant par de nouveau le regard de Ngu vers le lointain.

Ni Nguyên Huy Thiêp ni Dang Nhât Minh ne sont indifférents à la vie de la campagne : ils sont inspirés par les déchirements des paysans et la condition malheureuse des femmes. On voit dans le film ce qu’on a vu ou entendu dans la vie réelle : le prix extrêmement bas des produits agricoles, les frais d’études et les impôts écrasants, l’abandon du village par les paysans qui vont gagner leur vie en ville, l’abandon de l’école pendant la moisson, le manque de manuels scolaires. La campagne est représentée par la vie communautaire : tout se partage, que ce soit la joie ou la tristesse (le retour de Quyên au village, les voisines lui rendant visite, tout le village accompagnant Minh et Mi au cimetière).

La campagne est encore représentée par le verbal, voire les insultes (la femme de l’oncle Phung criant devant la maison du maître Quy des insultes pour ne pas avoir éduqué sa deuxième femme). La campagne est également représentée par les coutumes et croyances (consultation de la feuille d’horoscope, chants et danses dans le temple, vieilles dames aux dents noires, interdiction à la mère d’assister à l’enterrement de son enfant…).

Aux scènes de la vie à la campagne (les paysans allant aux champs, les enfants se baignant dans la rivière) s’ajoute le charme réel du paysage (chemin couvert de paille, haies de bambou, champs de maïs, de cannes à sucre, rizières à l’infini, barque flottant sur la rivière).

C’est une histoire racontée en images, en symboles. Les images étant souvent doubles, marquées par le lien entre deux mondes : celui des humains et celui des animaux.

Ainsi, quand Nhâm présente, en monologue intérieur, sa belle-sœur solitaire dans l’attente de son mari, la caméra se tourne vers Ngu, laquelle regarde un couple de pigeons sur le toit et on voit un pigeon s’envoler. Pour montrer le trouble émotionnel de Nhâm depuis l’arrivée de Quyên, le cinéaste insère une scène où Nhâm à la recherche de grenouilles en observe deux en accouplement. En réponse à la mort de Minh et de sa copine-voisine Mi, on voit les poissons frétiller sur l’herbe avant de s’immobiliser.

L’image d’une poule et ses poussins picorant tranquillement à la gare à la fin crée un effet de contraste avec la situation de Quyên qui, doit gagner sa vie à l’étranger et est toujours à la recherche du bonheur insaisissable.

Après tout, les deux œuvres littéraire et cinématographique partagent les thèmes du retour, de l’identité et de l’attente.


 

Le retour

Le retour occupe une place de premier plan dans le film. Ce thème se révèle d’ailleurs dès le titre. En effet, le terme « nostalgie », combinaison du mot grec nostos (« retour ») et -algie (« douleur ») se traduit littéralement par « mal du retour ». Partir pour revenir. Revenir pour repartir. Cette relation dialectique est clairement illustrée à travers trois personnages principaux : Quyên, Nhâm, Ngu.

Le retour de Quyên après son premier départ, longtemps auparavant, conduit à un autre départ qui est, cette fois, sans promesse de retour. Après des années d’exil, elle retourne au pays natal à la recherche des beaux souvenirs. Elle partage avec Nhâm la nostalgie de l’enfance mais son souhait de retour reste vague. Ainsi, Quyên répond à la question de Nhâm « Reviendras-tu ? » par une incertitude « Je ne sais pas encore ».

En revanche, le départ de Nhâm qui, jusqu’à l’appel militaire, n’a jamais quitté son village, implique un retour, comme l’affirme la dernière phrase de son monologue intérieur : « J’ai la nostalgie de ma campagne et j’y retournerai ». Ces mots sont associés à l’image des roues du camion militaire qui sous l’effet stroboscopique semblent tourner dans l’autre sens, symbolisant le retour de Nhâm à la terre-mère. Car, c’est l’endroit où vit toujours sa mère qui n’a jamais quitté le village, où sa belle-sœur se penche sur les rizières, et où résonne les mots naïfs et répétitifs de sa petite-sœur qui n’a jamais eu 17 ans : « Je sais où tu as été, grand-frère Nhâm, mais je ne le dirai pas ».

La campagne fait partie de son corps. La campagne est la famille, les voisins. La campagne accompagne Nhâm, lui rappelant ses responsabilités et l’incitant à revenir. C’est un des passages les plus beaux et émouvants du film, sur fond de musique soulevant à la fois l’esprit puissant, l’idéologie des soldats et la tristesse, l’espoir des paysans. Cette fin nous fait penser à la dernière phrase dans Une vie de Maupassant : « La vie […] ça n’est jamais si bon ni si mauvais qu’on croit ». 

On peut encore parler du retour de Ngu, après être partie chercher en vain son mari à Cao Bang. Il s’agit d’un retour significatif et émouvant. En effet, Ngu est rentrée juste à temps pour voir pour la dernière fois son beau-frère Nhâm avant qu’il ne parte loin au service militaire, lui offrant de l’argent, un cahier, un stylo.

De plus, si l’on considère l’image de Minh et de Mi sur la petite barque à la fin du film comme le retour des morts, on peut confirmer la remarque d’un professeur sri lankais selon laquelle le film de Dang Nhât Minh a une couleur bouddhique. Sur ce point, ses films Bao giờ cho đến tháng Mười (Quand viendra le mois d’octobre ?) ou Đừng đốt (Ne le brûlez pas !) constituent de parfaits exemples.

 

L’identité

Apparaît implicitement dans le film un aspect de retour sur soi, sur sa propre identité, qu’elle soit individuelle, familiale ou sociale. Nhâm doit jouer le rôle du mari-père à la place des hommes absents dans sa famille. Toute la responsabilité retombe sur ses épaules. Sa jeunesse a été volée, car il doit être la fois le père (soutien de sa mère, décision sur grandes affaires) et le grand frère (appui spirituel et affectif à sa belle-sœur). La tendresse et la compréhension de Nhâm pour sa belle-sœur rejoint la solitude de cette dernière, leur faisant oublier dans un bref instant leur relation belle-sœur et beau-frère pour ne leur laisser sentir que la relation entre un homme et une femme. Même son prénom, on le lui demande puis on l’oublie. Ainsi Quyên l’appelle « Jeune homme ! ». Cet anonyme est décrit sous le plume de Nguyên Huy Thiêp ainsi : « Ma campagne est anonyme, l’endroit où je me trouve est anonyme ».

Dans la nouvelle Quyên demande à Nhâm : « N’est-ce pas tante Luu qui vous envoie ? […] Tante Luu vous a payé pour venir me chercher, c’est bien ça ? », ce qui attriste Nhâm qui, en son for intérieur, se dit : « [je suis] de ceux qui se louent, qui travaillent pour le compte des autres » (trad. de Kim Lefèvre). Pourtant, Nhâm, dans le livre comme dans le film, est conscient de son identité : « Je suis Nhâm ». Il porte un prénom mais pas sa mère, car à la campagne, on appelle une femme par le prénom de son mari ou de son fils. Ainsi sa mère est appelée « Madame Nhâm ». Dang Nhât Minh a subtilement introduit le petit Têu, un personnage de la marionnette sur eau, qui, à son apparition devant le public, pose toujours cette question : « Dois-je vous présenter mon nom ? ».

Ngu représente une femme traditionnelle à la campagne : elle s’occupe de toutes les affaires de la belle-famille, du culte des ancêtres jusqu’au travail des champs, elle fait tout pour l’intérêt de sa belle-mère, son beau-frère et de sa belle-sœur alors que qu’elle n’a aucun signe du retour de son mari. Qui est-elle ? Elle est seule mais elle n’est pas célibataire. Elle n’est pas veuve mais vit la vie d’une veuve.

La scène où Ngu bat les gerbes de paddy permet la mise en place du symbolisme de la répétition, la routine, ou alors la scène où elle fait des tours dans la cour pour retourner aux pieds le paddy qui sèche laisse voir qu’elle tourne en rond, comme sa vie sans issue. En elle, il y a à la fois la patience et la révolte instinctive afin d’échapper à la souffrance et trouver le bonheur. 

Quyên est tout à fait le contraire de Ngu. Elle représente le monde moderne de la ville. Etant née et ayant vécu à la campagne, elle en est à la fois proche et éloignée. Elle compatit à la pauvreté de la campagne mais elle ne la comprend pas. Comme tant d’autres exilés, elle est tourmentée par la question identitaire : « Les jours où je vis en immigration, je ne sais plus qui je suis, d’où je viens ». Concernant ce personnage, le cinéaste conclut ainsi : « Mais maintenant, je comprends que partout où je suis, je fais partie de cette terre ».

Si l’on peut parler de l’identité féminine dans le cinéma de Dang Nhât Minh, ce film en est une parfaite illustration. On compatit à la solitude muette de la tante Nhung, la deuxième femme du maître Quy (père de Ngu). On pleure pour la souffrance silencieuse de Thoa, la belle-fille de la voisine Luu, qui n’a pas suffisamment de l’argent pour rendre visite à la tombe de son mari mort au service militaire. On crie pour l’amertume que subissent la tante Luu et Ngu.

Elles supportent toutes seules la tristesse et la gardent pour elles, car comme le dit la mère de Ngu : « Etant une femme, il faut savoir se résigner à supporter les tracasseries. Les dire, c’est se faire se moquer par les voisins ». Elle-même sacrifie tout pour son mari, le maître Quy, et sa fille Ngu : son mari, par pitié a ramené chez lui une fille de joie et en fit sa deuxième femme. Elle ne lui fit aucun reproche mais elle lui donna de l’argent pour qu’il puisse construire la maison pour sa deuxième femme. Et encore tant d’autres femmes du village qui vivent toute leur vie dans une longue attente désespérante.

 

L’attente

Le thème de l’attente traverse le récit, qu’il soit littéraire ou filmique. L’attente est subtilement et poétiquement décrite dans des vers de Nhâm: 

«Je sais que cela sert à rien de pleurer car il faut toujours attendre / Il faut attendre de janvier jusqu’en décembre / En janvier, on plante des haricots ; en février, des aubergines ».

Ainsi, le réel de la vie et les règles de culture tissent un lien étroit. Les scènes où Nhâm et Quyên sont à la gare au début et à la fin du récit n’impliquent-elles pas une attente ? Les femmes du village ne sont-elles pas évoquées par la légende de la belle Tô Thi attendant son mari jusqu’à sa transformation en pierre ? Sur cet épisode, Dang Nhât Minh a subtilement inséré une belle image de trois oisillons ouvrant leur bec dans l’attente de la nourriture.

Ainsi, ces femmes continuent à vivre sans leur mari, à l’attendre, à tisser leurs fils où s’entremêlent la trame de l’attente et la chaîne de la tristesse.

Si la chanson Le tableau de la campagne du compositeur Van Phung nous fait voir les belles images de la campagne en période de moisson, « le tableau de la campagne » de Dang Nhât Minh illustre à la fois le ton sombre de la réalité et le ton lumineux de la nature, sur le lyrisme de la musique.

Ce film est comme un mets délicieux qui suscite cependant la mélancolie et la nostalgie pour le passé. Le succès du film réside non seulement dans les belles images, les scènes originales, mais encore et surtout dans le réalisme et une grande humanité.

Le film a touché le cœur de nombreux spectateurs, même de la nouvelle génération née après le film, leur faisant jaillir du fond du cœur les mots tendres comme s’ils s’adressaient à leur mère dans une lettre : « Ma chère campagne ! ».

Bùi Thu Thủy (Annecy)