Entretien avec François Vương Triệu, réalisateur de l’exposition « Vietnamiens en France des années vingt aux années cinquante »

 

Par ĐỖ Thu Thủy

TT: Afin de mieux vous connaître, pouvez-vous vous présenter rapidement ?

F.T: Je suis né à Paris en 1941 de parents vietnamiens. Après des études de comptabilité et de sociologie, j’ai été en fonction à Bordeaux, Strasbourg, en Île de France et 14 ans à l’Etranger à Belgrade, Helsinki et Berlin. Retraité, j’ai étudié le vietnamien à l’INALCO (Institut national des langues et civilisations orientales) afin de connaître la langue et mieux comprendre la civilisation du pays.

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TT: Vous considérez-vous comme un « historien » ou simplement comme un passionné d’histoire ? Quelles sont les démarches ou processus qui vous ont conduit à faire ces expositions ? Matériellement, comment faites-vous pour élaborer ces expositions ?

F.T: Sans être « historien », je suis très intéressé par l’Histoire, celle de la France, du Vietnam et des pays où j’ai vécu.

J’ai fait ces expositions avant tout parce que je suis photographe, j’aime la photographie et j’ai déjà fait différentes expositions personnelles, en particulier sur Berlin où j’ai vécu de 1984 à 1991. Témoin et photographe de la chute du mur de Berlin, on m’a demandé de faire des expositions sur cet événement. A l’occasion  du Centenaire de la Grande Guerre, j’ai proposé une exposition sur la participation des Vietnamiens dont j’ai appris l’existence au cours de mes études universitaires.

Matériellement je recherche dans les archives (Archives Nationales à Paris-Pierrefitte, Archives Nationales d’Outre-Mer à Aix-en-Provence, Archives départementales à Bordeaux, Archives de l’Armée aux Invalides) des documents écrits et iconographiques. Je photographie (ce qui est permis) ce qui m’intéresse pour les expositions. Je consulte également les ouvrages sur le thème, j’interroge et enregistre mes proches et connaissances. Enfin je scanne chez moi d’anciennes photographies que je possède ou qu’on me confie.

Je n’oublie jamais d’indiquer la source des photos et documents exposés ainsi que le copyright.

J’encadre, je confectionne les passe-partout et j’écris les légendes. Tout ceci demande du temps et de l’argent.

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TT: Plus particulièrement, quelles sont les motivations qui vous ont poussé à réaliser «Vietnamiens en France des années vingt aux années cinquante » ? Pourquoi avez-vous choisi cette thématique ?

F.T: La motivation première pour cette exposition, c’est tout simplement l’histoire de mes parents. Mon père de Ninh Binh est venu en 1919 en France comme cuisinier d’un ingénieur français de Hanoi, ma mère de Ha Dong est venue en 1931 avec un photographe, Léon Busy, comme bonne d’enfants. J’ai écrit un article sur eux, « En chemin avec Toan et Hoi » dans la revue Carnet du Viêt-Nam d’avril 2012.

Par ailleurs j’ai entrepris des études à l’INALCO qui m’ont fait connaître l’histoire du pays et m’ont conduit à m’intéresser plus particulièrement aux premiers immigrants vietnamiens en France, ce qui m’a amené à rédiger un mémoire de master sur « Les Vietnamiens en France dans l’Entre-deux-guerres ». C’est ainsi que tout naturellement, mes parents m’ayant laissé un grand nombre de photographies de leur jeunesse,  j’ai choisi le thème de cette exposition. 

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TT: Ce thème est-il une continuité de votre l’exposition : « les Indochinois dans la Grande Guerre 1914-1918 » à Paris?

F.T: Oui, si on considère l’ordre chronologique, c’est en faisant mes recherches pour mon mémoire universitaire que j’ai trouvé dans les archives des documents concernant les soldats et travailleurs vietnamiens venus en France pour la guerre de 1914-1918.

Il est donc naturel que je donne une suite à cette exposition 1914-1918, avec les Vietnamiens arrivés en France après la Grande Guerre.

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TT: En ce qui concerne le thème de l’exposition, votre objectif est-il de faire découvrir au public l’histoire des premiers immigrants vietnamiens ? ou est-ce une démarche plus autobiographique ?

F.T: Comme pour ma précédente exposition, je désire faire connaître au public, français et vietnamien, l’arrivée de ces premiers immigrants.

Beaucoup ignorent que près de 100 000 Vietnamiens sont venus pendant la Grande Guerre et 28 000 pour la Seconde Guerre mondiale. Beaucoup ne savent pas non plus qui étaient ces immigrants venus individuellement des années vingt aux années cinquante, comment ils vivaient, comment ils se sont intégrés ? C’est un devoir de mémoire vis à vis de tous ces hommes et femmes qui ont précédé en France la grande arrivée des Vietnamiens des  années soixante-dix / quatre-vingt.

L’histoire de mes parents fait bien sûr partie de cette démarche, mais pas seulement, car les domestiques et restaurateurs n’étaient pas nombreux contrairement aux militaires, étudiants et autres travailleurs.

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TT: Par quelles organisations de vos documents, comment faites-vous pour  amener le public à découvrir et à mieux cerner vos objectifs lors de vos deux expositions ?  

F.T: J’essaye d’avoir une démarche à la fois visuelle et pédagogique. Visuelle, car je mets en valeur les photos esthétiques, et pédagogiques, par un ordre précis de présentation.

Pour l’exposition des « Vietnamiens en France des années vingt aux années cinquante », j’ai adopté une présentation sociologique et non pas chronologique :

  • les militaires
  • les navigateurs, domestiques, travailleurs, ouvriers
  • les restaurateurs (je n’ai pas eu de documents sur les artisans et professions libérales)
  • les lycéens et étudiants
  • les fêtes, associations, évènements et manifestations
  • leur vie personnelle et familiale.

Dans des dossiers sont présentés en outre des témoignages, des documents et photographies d’archives qui n’ont pas pu être exposés et que le public pourra lire et consulter à loisir sur des feuillets séparés plastifiés ou cartonnés.


TT: Quels ont été les critères pour sélectionner les archives pour cette exposition?

F.T: Les critères correspondent à l’objectif de l’exposition :

  • une période donnée
  • donner un aperçu sur les différentes catégories des immigrants vietnamiens.
  • montrer l’évolution d’une communauté à travers le temps et l’histoire
  • l’authenticité des documents et des photographies de bonne qualité, si possible.

Remarque : souvent les photos ont été faites en studio par des photographes professionnels et elles sont nettes, bien éclairées et cadrées avec un décor et des gens qui posent. Cela traduit toute une époque.

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TT: Vous êtes né et avez grandi en France, votre propre vécu nous intéresse. Les photos de la collection vous rappellent, certainement, vos souvenirs d’enfance, pouvez-vous nous donner deux ou trois faits marquants?

F.T: Cette exposition va jusqu’aux années cinquante, mais j’ai très peu de souvenir de mon enfance en famille. A cause d’une grave maladie, j’ai été séparé de ma famille et soigné dans les Pyrénées de  8 ans à 13 ans, jusqu’en 1954.

Je me souviens toutefois que ma mère, très militante, m’amenait tout petit aux réunions politiques des Vietnamiens de Bordeaux. Ils chantaient, moi aussi, des chansons patriotiques, dont un refrain résonne encore dans ma tête « Hồ Chí Minh muôn năm ! » (Vive Hô Chi Minh).

A l’âge de 6/8 ans, mes parents avaient un restaurant à Bordeaux « Au Dragon d’or », rue Bouquière. Ils avaient souvent la visite de navigateurs vietnamiens qui travaillaient sur les lignes d’Afrique et faisaient escale dans ce port alors actif. En fin d’année, ils nous apportaient des feuilles de bananiers pour faire des « bánh chưng », le plat du nouvel an lunaire vietnamien qu’on fête en février. Je sens toujours l’odeur de ces gâteaux qu’on fait cuire des heures à la vapeur avec du riz gluant, des haricots jaunes mungo et du porc.

Un jour, juste avant Noël, un de ces navigateurs (ils aimaient beaucoup me sortir, moi petit garçon vietnamien) m’invita sur son grand bateau anglais, accosté sur les quais de Bordeaux-Bacalan. Quelle ne fut ma surprise de découvrir dans une salle un immense sapin illuminé, entouré de boules et de guirlandes dorées, avec à ses  pieds plein de petits paquets cadeaux. Un matelot m’interpella en riant « Hello little Boy, which one do you want? » (Salut petit garçon, lequel veux-tu ?).

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TT: Pouvez-vous nous parler de votre collection d’archives ? Quelle a été la chose la plus difficile à faire dans une telle collection?

F.T: Je n’ai pas vraiment de collection, plutôt des négatifs et photos personnels par milliers. A cela s’ajoutent les photos de mes parents. Ensuite j’ai rassemblé des documents et photos d’archives pour mes recherches universitaires et  pour mes expositions.

La chose la plus difficile c’est de trouver des photos de famille de l’époque auprès de particuliers. Certains considèrent que c’est du domaine privé, et ne désirent pas que leurs photos soient  exposées au public.

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TT: Lors de la visite de votre exposition, certaines personnes se diront qu’elles ont les mêmes photos chez elles. Pensez-vous continuer la collection même après l’exposition en créant une base de données pour agrandir vos informations ?

F.T: Je ne  peux pas me prononcer actuellement car cela suppose tout un suivi, du temps et un projet. Par ailleurs cela suppose que ces photos mises sur internet deviennent publiques, ce n’est pas facile vu les réticences et la pudeur de nombreuses familles vietnamiennes.

  

TT: Pouvez-vous nous parler de votre prochain projet ?

F.T: Ma prochaine exposition devrait avoir lieu en  2017 sur le thème de « Berlin, lieu de mémoire ». Elle portera sur l’histoire de son passé et sur les évènements tragiques qu’a vécus cette grande capitale au cours du 20ème  siècle. J’ai d’autres projets tel qu’un livre-photos bilingue, français-vietnamien, sur cette exposition des « Vietnamiens en France de 1919 à 1954 » avec davantage de témoignages et de documents.

Il serait évidemment intéressant de  travailler à une suite sur les Vietnamiens qui sont venus en France dans les années soixante à quatre-vingt.

Cela supposera alors de nombreux témoignages et photographies d’une communauté actuelle avec son arrivée, son installation et son vécu en France.

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