« Ma Xo Ha Nôi » ne hantera plus les ruelles de la capitale

« Ma Xó Hà Nội » – le fantôme des coins de Hanoi, ne hantera plus les ruelles de la capitale. Gérald Gorridge est décédé brutalement le 10 mars d’un AVC, à l’âge de 60 ans.

Il enseignait la bande dessinée à l’École Supérieure de l’Image d’Angoulême. Il avait débuté dans Métal hurlantavec Olycka la dame de Lettonie, avec F. Subercaze. En 1999, il fut le premier à mettre en place une formation en bande dessinée, à Hanoi, destiné aux étudiants des deux Écoles d’art et aux jeunes illustrateurs professionnels. Il met alors au point, avec les artistes locaux, issus des écoles d’art, cinq programmes de recherche en travaillant « dans le même esprit que l’école des Beaux-Arts d’Indochine des origines, à savoir un idéal anticolonialiste c’est-à-dire qui ne cherche ni à s’approprier la culture de l’autre ni à  imposer un modèle (franco-belge par exemple) mais qui tente d’inventer de nouveaux procédés de nouvelles façons de travailler, des styles inédits in situ[1] ».

C’est parce qu’il arpentait la ville en tous les sens que les artistes vietnamiens l’avaient affublé de ce surnom de fantôme, qu’il revendiquait fièrement. D’autant plus volontiers qu’il affirmait s’être « réinventé artistiquement » au contact de la ville et de ses habitants.

Sa collaboration à la revue Carnets du Viêt Nam débuta à l’automne 2004 et dura dix ans, jusqu’à l’arrêt du magazine. Nous publiâmes les premières planches de l’album alors inédit Les fantômes de Hanoi[2].  Outre le graphisme, ce qui retint notre attention, et qui devait se confirmer tout au long de ces années c’était ce besoin d’aller au cœur des choses, d’être au plus près de la réalité. Ne commençait-il pas ce dossier spécial Hanoi par ces mots « pour dessiner Ha Noi, il faudrait être capable de reconnaître le changement, à l’écart des monuments connus, à distance des bâtiments officiels. Je préfère flirter avec Hanoi, fille du quotidien, un peu décoiffée, entrer dans le labyrinthe…. » Se méfiant comme de la peste de l’exotisme à deux sous, de la nostalgie ou de la langue de bois, nous ne pouvions que nous entendre. C’est ainsi que naquit « Carte blanche à Gérald Gorridge. » Non seulement il nous entraina dans les recoins de la ville, ou sur ses toits, mais aussi le long du Fleuve rouge où de gigantesques péniches récupèrent le sable du fleuve. Il y avait du Doisneau ou du Willy Ronis chez Gorridge quand il peignait les ouvriers des briqueteries ou des petites aciéries qui parsèment les banlieues ouvrières. Le même respect, dans le dessin de la sieste d’un vendeur de rue ou d’une maraichère qui peine sur sa parcelle sous le pont Long Biên.

Cette passion, partagée, prenait aussi tout son sens  dans la distance même qui le séparait du pays, il s’en expliquait dans les marges d’un dessin des bords de la Charente :

On me dit  » Pourquoi ne vis-tu pas là-bas, tu y vas si souvent ? » mais comment se priver d’ici ? de tout ce qui fait ici ? C’est d’ici que j’ai besoin de là-bas. J’ai besoin de cet écart. Sans cette distance je serais aveugle au spectacle de leurs rues, sourd au tintamarre du capharnaüm … /… Là-bas, comme ici, j’aime les bords là où ont lieu les changements ; rives du Fleuve Rouge comme de la Garonne, berges de la Charente comme de la Rivière des Parfums.

Ce sont ses dessins de Hué, réunis dans l’album  Rivière des parfums que nous avons édité en 2009. Son attachement à la capitale ne l’empêchait nullement de faire des escapades aux alentours de Sapa. D’en ramener d’excellents croquis, témoignages d’une empathie profonde et d’une proximité favorisée par la nature même de son art, moins violent que la photo, et plus propice à la confidence. On ne peut que regretter qu’il n’ait pas eu le temps de dessiner d’autres parties du Viêt Nam, son regard manquera de Hoi An à Saigon.

Son dernier ouvrage fut le point de départ des ateliers nomades et de l’exposition Tranches de vie organisés lors de l’année France-Viêt Nam 2013-2014[3]. A cette occasion cinq dessinateurs et dessinatrices exposèrent leur travail. Un sixième, Nguyên Thanh Phong, (« l’auteur actuel le plus prometteur du Viêt Nam » selon Gérald) qui présentait dix planches sur La Voisine a été interdit d’exposition par lacensure, deux jours avant le vernissage. C’est à lui que Gérald avait déjà rendu hommage dans une double page « le dessinateur censuré » quelques mois auparavant[4]. Non seulement l’idée de censure lui était insupportable mais c’est surtout le gâchis que cette censure représente pour le Viêt Nam lui même qui le rendait amer. C’est peut être là qu’il faut chercher, dans son dernier ouvrage, l’origine du Génie de l’entrave, « une  jolie fille, avec un sale caractère, et plutôt vénale. Ce qui l’intéresse avant tout c’est d’améliorer son niveau de vie, car elle est mal rétribuée, en extorquant les quidam qui la sollicitent, avec le sourire, toujours ».

Ce Mangeur de feu promettait de bien beaux albums. Tant de projets étaient encore en cours.

Le temps dira si les dessins du Fantôme, qui disaient si bien la ville, trouveront leur postérité.

Sous le pont Long Bien, le fleuve roule toujours ses eaux changeantes ; qui se souvient qu’en novembre 2010 « une volée de planches de l’album Les fantômes de Hanoi » furent exposées là ? Des confidences continueront à s’échanger sous la pluie. Loin des crayons du Ma Xó[5].

Dominique FOULON

https://vietlitfr.hypotheses.org/1677

[1] « S’il te plaît, dessine-moi un Phở ! » interview de Gérald Gorridge par Dominique Foulon in Perspectives.

[2] Carnets du Viêt Nam, n° 6 février 2004.

[3] « Màn sông tranches de vie », in Carnets du Viêt Nam, n° 38 janvier 2014.

[4] « Le dessinateur censuré », in Carnets du Viêt Nam, n° 34 juillet 2012.

[5] « Confidences sur le pont Long Bien », in Carnets du Viêt Nam, n° 29 avril 2011.

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