L’amour de la patrie commence à la famille (*)
(*) Citation de Francis Bacon ; Dignitate et augmentis scientiarum (1605)
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Comme d’habitude, ce samedi à l’école Vê Nguôn, les cours de langue vietnamienne commencent à 14 heures, les enfants rentrent en classe, leurs parents restent dans les couloirs pour les attendre.
La plupart est des femmes de plus de 25 ans, elles sont là pour encourager, prendre soin des enfants après les cours. Surtout pour les plus jeunes qui ont toujours besoin de la présence de leur maman; ça et là, on entend leur rire qui résonnent, elles sont joyeuses, aimables et très sociables pour certaines. Elles parlent de leurs enfants, de leur famille. Elles partagent aussi leurs expériences de la vie, des recettes culinaires, leurs méthodes éducatives… Mais, aujourd’hui, un sujet bien plus important qui occupe pleinement leur conversation, qui est essentiel pour la communauté vietnamienne en France :
« Comment préserver les traditions, les coutumes, la culture, la pratique linguistique du Viet Nam dans les familles d’origine vietnamienne qui s’installent et travaillent en France ? »
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Le rythme incessant, telle une machine, de la vie occupe une grande partie de la journée de ces mamans. Outre que « boulot, dodo, métro », ces bouts de femmes prennent soin de leur famille.
Dès l’aube, en se préparant pour aller au travail, elles ont déjà en tête la recette pour le dîner de la famille ; comment s’organiser pour vérifier et aider les enfants pour faire les devoirs…
Pourtant, d’autre préoccupation de l’instinct maternel semble tourbillonne dans leur pensée : comment garder une identité pour ces enfants qui sont nés, grandis et éduqués en France, pour qu’ils n’oublient pas leur deuxième origine, ils n’ont pas « moitié-moitié », mais simplement « un et un », avec une double richesse en eux qu’ils doivent connaître, maîtriser, préserver et ultérieurement, partager avec d’autres. Pour elles, il faut tout naturellement éviter le choc du déracinement, ce à quoi les enfants ne savent pas se rattacher en parlant de leur origine, de leur culture.
C’est pour cela qu’elles motivent, bousculent un peu ; ou parfois insistent, mais plus souvent, accompagnent assidument leurs enfants d’aller aux cours de l’école Vê Nguôn pour apprendre le vietnamien, de faire connaissance avec les traditions ancestrales, festives et culturelles de leur pays.
Pour mieux connaître ces motivations et comment elles ont fait pour renouer ces activités et organiser leur planning, notre équipe a abordé ce sujet auprès de ces mamans par des questions en bilingue ; car, certaines sont, de la dite deuxième génération, qui sont nées et grandies ici, et même simplement françaises.
Leurs réponses sont très intéressantes et enrichissantes, que nous croyons fortement indispensables pour les enseignants, et mêmes pour celles et ceux qui sont soucieux de l’éducation linguistique et culturelle pour la préservation de l’identité vietnamienne des jeunes enfants à l’étranger.
A la question :« Au sein de votre famille, qu’avez-vous fait pour faire connaître la culture vietnamienne à votre enfant, et comment la préserver ? », Madame Ngoc Hang, sourire aux lèvres, nous a livré son petit secret :
« Je concocte tous les jours des plats vietnamiens, simples, savoureux. Et les week-end, avec ce peu de temps libre, je prépare des plats plus sophistiqués, comme le Phö, la soupe aux vermicelles Phnom Penh, le fameux Bun Bo, la soupe de cheveux d’ange aux crabes… Les grands jours de Fête, le Têt, les jours de commémoration des ancêtres…nous organisons régulièrement les repas familiaux pour nous réunir tous les membres de la famille, l’occasion pour les enfants de rencontrer et de découvrir leur origine. Nous cherchons aussi les cours de langue et de les inscrire aux activités culturelles vietnamiennes avec d’autres jeunes enfants« .
Madame Hang, une femme rayonnante qui a trois filles, qui sont des meilleures élèves en vietnamien, mais aussi très actives dans différentes activités extrascolaires : ateliers de chants, de danses, des arts martiaux, des activités manuelles de découpage et de collage. Plus étonnant encore, elles ont beaucoup de vocabulaires vietnamiens.
Madame Trinh, toujours joyeuse et si gentille, accompagne chaque samedi son fils, Louis Phi Long, aux cours de la classe de 2ème, nous a confié sa méthode de « garder la flamme du Viet Nam » chez elle :« une cuisine du pays, le respect pour les personnes âgées, les parents, l’apprentissage de la langue à son fils et son mari, les voyages pendant les vacances scolaires au Viet Nam pour pratiquer la langue, suivre des émissions télévisées en vietnamien ».
Elle cuisine aussi des plats français pour son mari, car il est français. Un moyen efficace pour apprendre à son fils le respect des autres. Elle fait découvrir à son mari ses plats vietnamiens, et il aime bien. Voilà, une méthode si douce, si tendre !
Son époux, lui aussi, suit des cours de vietnamien avec beaucoup de joie et d’enthousiasme. Il est plus motivé que jamais, de par sa volonté d’apprendre, mais surtout, sans nous le dire, certainement par son amour pour le Viet Nam, et pour sa femme.
Madame Châm, la grand mère de Dylan, en classe de 3ème, suit sa fille et son petit fils aux cours les samedis, nous livre son quotidien : »Nos repas sont souvent familiaux, avec des mets et des plats vietnamiens, nous parlons vietnamien à la maison, nous apprenons beaucoup à Dylan les traditions et les coutumes du pays, les vacances scolaires sont toujours les meilleures occasions pour lui de parler vietnamien avec ses cousines, cousins là-bas. Il faut penser aussi à chanter des berceuses vietnamiennes aux enfants…« . Pour Madame Châm, les repas sont importants pour qu’il découvre la richesse de ces deux pays, qui va l’aider indéniablement à respecter l’intégralité sociale et culturelle.
Dès lors, à travers ces courts interviews, un constat nous semble évident pour accorder une place importante aux repas familiaux au sein de chaque ménage qui souhaite faire découvrir et conserver les traditions culturelles du Viet Nam à leurs enfants en France. Grâce à ces réunions de saveurs où chacun garde en soi son âme d’enfance, permettant ainsi aux autres de partager la beauté d’un peuple, de faire connaître un bout de son origine, de tisser des liens forts entre membre d’une famille, d’une communauté. Cette démarche semble banale, mais reste efficace et stratégique pour l’apprentissage de la langue et mène inévitablement à la découverte de sa propre identité. L’ouverture sur le monde et aux autres devient plus facile et aisément pour les jeunes enfants.
Pour les parents qui sont nés et grandis en France, eux mêmes n’ont pas leur enfance au Viet Nam, comment font-ils pour mettre en place une éducation à la découverte de ce pays qui est leur origine ? Ils sont de la deuxième, ou troisième génération de cette communauté vietnamienne.
Madame Nhü, née en France, nous a surpris en nous racontant comment elle a appris seule la langue, a cherché à se documenter pour mieux connaitre son origine : »Je lis beaucoup pour mon enfant en vietnamien, je l’apprend aussi à chanter. Nous sortons souvent avec des amis qui ont des enfants vietnamiens, ou de nous rendre visite aux grands parents. Nous mangeons souvent les plats vietnamiens ou allons aux restaurants dans le XIIIème. Pour les vacances scolaires, nous retournons au Viet Nam pour nous reposer ou de voyager« .
Elle connait bien les recettes et astuces pour faire des rouleaux printemps, avec de la sauce aux crevettes macérées bien forte en odeur, une vraie spécialité du Viet Nam.
Un autre cas similaire de Madame Doan Phuong, membre actif et qui est de la 2ème génération de l’Association des Vietnamiens en France (ses parents, eux aussi, étaient membres de l’association), a fréquenté les cours de langue pour apprendre le vietnamien. A son tour d’être parent, elle accompagne sa fille aux cours de Vê Nguôn. Elle nous a parlé en français :« Nous participons beaucoup aux activités culturelles, j’ai acheté aussi beaucoup de livres en vietnamien pour ma fille, en même temps j’apprend et renforce mes connaissances et mon niveau de vocabulaires. Bien sûr, il ne faut pas oublier la place des repas à la maison ».
Son plat de prédilection est le riz sauté. En plus, le grand père maternelle est un vrai cordon bleu avec ses plats traditionnels du Centre du Viet Nam, réputés par leur saveur bien épicée. Son mari l’aide aussi pour les courses et la préparation des plats.
Et si, dans la famille, le père est vietnamien, et s’est marié avec une française ? Comment font-ils pour préserver cette langue paternelle ?
Madame Valérie nous confie chaleureusement : »Je ne sais pas du tout les plats Việt Nam mais mon fils mange souvent chez la grand-mère, il mette partout du sauces “ nước mắm “. On regarde beaucoup la télé (histoire, culture Việt), participe aux Fêtes traditionnelles du VietNAM (Tết,Trung Thu). Quant à moi, je raconte les histoires du Việt Nam à mon fils, et j’apprends à moi même pour aider mon fils qui suive le cours Việt Nam«
Finalement, à travers ces conversations avec les mamans, nous constatons la place primordiale de la famille et son soutien indispensable auprès des jeunes enfants pour préserver l’âme du Viet Nam au sein des ménages.
Les mamans s’efforcent et font tout pour transmettre cet amour du pays à leurs enfants. Avec tendresse et un amour débordant, elles leur apprennent à respecter les grands parents, les personnes âgées, les parents, les proches et aussi les amis. Elles s’accordent toutes sur l’importance et la nécessité des repas de famille. Ces plats sont souvent préparés soigneusement, très raffinés, savoureux égayant les plaisirs des sens. A chaque région ses recettes et ses plats typiques : le Phö pour le Nord avec son jus aux carottes de bœufs qui réchauffe les jours de pluie, les petites galettes de riz aux grains de soja concassés reflètent le raffinement des plats du Roi, au Centre du pays, la viande de porcs sautée au caramel bien doré nous mène aux jardins fluviaux et des rizières à perte de vue du Delta du Mekong… Par ses mets traditionnels et populaires, elles peuvent facilement faire découvrir aux enfants en leur expliquant les différentes coutumes, de les faire voyager tout au long du pays, traversant les agglomérations surpeuplées et bruyantes, très animées, jusqu’aux champs où on entend le sifflement du vent à travers des fruitiers…dessinant dans leur imagination les images d’un beau pays paisible et attrayant, le leur ; une méthode efficace et ludique pour transmettre aux jeunes générations ces valeurs ancestrales.
Pour les plus jeunes, les chants de berceuse sont rassurants, doux et calmants. Ils permettent aux petits de s’habituer dès leur tendre enfance à l’intonation, au son, à la mélodie de la langue. Ces berceuses renforcent la relation parent-enfant, qui sont les moyens de communication merveilleux. Elles sont souvent très simples, tirées des comtes, des proverbes ou des citations populaires, traditionnelles de la vie. Ces chants si doux et mélodieux sont rassurants pour les petits ; mais aussi pour les parents, qui retrouvent leurs souvenirs enfantins. Un beau moment de partage discret et apaisant.
La vie moderne dans un des plus grand pays du monde, avec ses contraintes, ses soucis quotidiens nous plongent dans un tourbillon de préoccupation, nous pousse à nous surmonter, de nous surpasser. Mais, dès lors, à chaque rencontre, à chaque conversation de notre pays bien aimé, bien loin, le Viet Nam. Nos larmes remontent aux coins des yeux, cette nostalgie est si brulante, pressante, comme pour nous rappeler nos sources, comme un appel au retour pour vivre et revivre cette ambiance où sont nés et grandis nos souvenirs innocents et heureux.
De-là, ces mamans ont décidé, tout naturellement, de continuer à se battre, à s’organiser pour préserver cette richesse culturelle et identitaire du Viet Nam en France.
J’ai un fort sentiment très positif sur la continuité et l’excellente préservation de la langue vietnamienne au sein de ces familles, grâce à la volonté et le sacrifice de chaque parent pour leurs enfants, qu’ils veulent transformer une grande part de leur rêve en réalité, pour nous rappeler d’où sont venus ces rêves, notre Mère Patrie, le Viet Nam.
Là où est ta Maman, là aussi sera ta Patrie.
A l’occasion de la Journée Internationale des Femmes, 8 Mars, nous vous souhaitons, à toutes les femmes vietnamiennes et celles qui ont un cœur, une âme vietnamienne, de très bonnes choses dans la vie, avec beaucoup de bonheur.
Texte et Photos: Về Nguồn
Traduction: Huỳnh Văn Minh
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