Philippe Devillers, homme de culture, humaniste, ami fidèle du Viêt Nam
C’est avec une infinie tristesse que nous venons d’apprendre le décès de Philippe Devillers, qui nous a quittés ce lundi 15 février.
Nous savons combien il était cher aux Vietnamiens de France.
tout comme à tous ceux qui ont un lien d’une densité particulière avec le Vietnam.
En cette douloureuse circonstance, l’Union Générale des Vietnamiens de France, au nom de la communauté vietnamienne, présente ses condoléances sincères et attristées à sa famille.
Philippe Devillers, homme de culture, humaniste, ami fidèle du Viêt Nam
Philippe Devillers[1], qui nous a quittés ce lundi 15 février, était né en 1920. C’est dans le sillage du général Leclerc, qui avait pris la tête d’un Corps expéditionnaire français, qu’il arrive en Indochine, le 3 novembre 1945. Entré dans les services de presse, il y rencontre un autre jeune apprenti-journaliste, Jean Lacouture. Outre la rédaction d’articles destinés à la troupe, les deux hommes se lancent dans une première aventure journalistique indépendante : Paris-Saigon, un hebdomadaire qui, déjà, militait pour des relations nouvelles entre la métropole et son ancienne colonie. Troisième activité : l’envoi régulier d’articles à la presse de métropole. Le 20 janvier 1946, Le Monde publie son premier article. Tous les engagements futurs de Philippe Devillers y figurent. La France, y écrit-il, doit prendre conscience qu’une page est tournée en Indochine :« Ce n’est plus la colonisation ni la tutelle » qui doit guider la politique française, « mais la coopération d’un genre nouveau avec des peuples dont le rythme d’évolution ne fera sans doute que se précipiter ». Ils n’étaient pas nombreux, les Français qui avaient cette lucidité, alors. On sait que la France de la IV ème République naissante sera incapable de le comprendre et précipitera le peuple vietnamien dans un cycle de trente terribles années de guerre (1945-1975). Revenu en France, Phillipe Devillers s’engage dans le mouvement pacifiste (il montrait souvent avec fierté sa carte d’adhérent, parmi les premiers, de l’Association France-Vietnam, fondée en 1946 par Andrée Viollis). Durant toute cette période, bien que haut fonctionnaire (secrétariat général du gouvernement), il ne cesse de dénoncer – évidemment sous le couvert de l’anonymat ou de quelques pseudonymes – cette politique.
C’est pourtant sous son nom que paraît en 1952, soit deux ans avant Dien Bien Phu, un maître-livre, au titre trop modeste, Histoire du Vietnam de 1940 à 1952, premier et longtemps seul récit de la guerre en cours en Extrême-Orient. Désormais, Philippe Devillers est considéré à juste titre comme un des maîtres de l’histoire de ce pays. Avec son complice Jean Lacouture, il publiera deux autres ouvrages sur cette phase française du conflit vietnamien.
Mais à cette phase succédera, bien plus massif, immensément plus meurtrier, l’engagement américain. Comme expert reconnu internationalement, il portera en permanence, avec courtoisie mais fermeté, la contradiction aux tentatives de justification des États-Unis, assurant d’ailleurs des cours sur le territoire même de ce pays (Visiting Professor à l’Université Cornell, Ithaca). Il étend également ses recherches à d’autres pays de la région, ce qui l’amène à devenir responsable de la section Asie du sud-est au Centre d’étude des relations internationales de la Fondation nationale des sciences politiques, puis professeur à l’Université de Kuala Lampur. C’est à cette époque qu’il dirige – et rédige lui-même plusieurs contributions – une somme en deux volumes, L’Asie du sud-est.
Il laisse une œuvre scientifique considérable, signant, outre les ouvrages déjà cités, un Français et Annamites, sur la période de la conquête coloniale, un Paris-Saigon-Hanoi, 1944-1947, démontrant les responsabilités écrasantes de la France officielle dans la genèse des deux guerres d’Indochine, plus récemment un ouvrage résumant bien sa vie : Vingt ans, et plus, avec le Vietnam. Souvenirs et écrits, d’autres livres encore sur la Chine de Mao, sur l’Union soviétique, auxquels il faut ajouter plus de 500 articles dans des revues (il en tenait consciencieusement la liste à jour).
Philippe Devillers n’a jamais pour cela abandonné des activités au sein de mouvements – dont l’Association d’Amitié franco-vietnamienne, dont il fut un des fondateurs. Chacun garde en mémoire sa disponibilité et ses capacités pédagogiques dès qu’il fallait apporter ses lumières sur des questions pourtant extrêmement complexes, par exemple sur l’environnement international lors de la guerre du Viêt Nam et dans les années qui ont suivi. Dans les entretiens lumineux qu’il accordait à ses amis jusqu’à ses tout derniers jours, il ne manquait pas d’interroger encore sur la vie de ces mouvements.
Culture, engagement humaniste, simplicité, Philippe Devillers va cruellement nous manquer.
Alain Ruscio
[1] De son vrai nom Philippe Mullender : Devillers était son nom de plume, adopté alors que, toujours militaire, il commença à signer des articles dans la presse.
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